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Assetou Dramane : le panafricanisme au service de l'entrepreuneuriat

Dernière mise à jour : 20 avr. 2023

Entretien avec Assetou Dramé, Fondatrice de Yeli Dehma

Qui est Assetou Dramé ?

Je suis née en France à Montreuil, et mes parents sont originaires de la Mauritanie. Avant de me lancer dans l'entrepreneuriat, j'étais juriste en droit des contrats commerciaux. En tant que membre de la diaspora africaine, j'ai toujours voulu avoir un impact positif sur le développement de l'Afrique.


Quels sont tes figures tutélaires ? Tes modèles ?

Le professeur Yunus Muhammed (surnommé le “banquier des pauvres”) m’a inspiré dans la mise en oeuvre de Yeli Dehma. Inspirée par sa vision du développement, j’ai commencé à m'intéresser à l’entrepreneuriat à impact en Afrique. C’est grâce à lui que j’ai notamment pris conscience que l’entrepreneuriat social est un puissant levier de développement. Serena Williams fait également partie des personnes qui ont marqué mon adolescence. Elle est l'une des rares femmes noires à avoir su s’imposer dans un sport où l’on ne l’attendait pas. En ce sens, sa personnalité, son parcours, sa détermination, sa soif de réussite m’inspirent au quotidien. Je rêverais d’être à sa place, comme beaucoup d’autres femmes (rires).


Tu as évoqué le panafricanisme, qu’est-ce que cela signifie pour toi ?

Pour moi le panafricanisme c’est l'idée de voir un continent africain uni. J’aspire à davantage de solidarité, de coopération au sein des pays qui le composent. La création de l’Union africaine va déjà dans ce sens. J’espère que nous serons à même d’aller encore plus loin en termes d’initiatives d’intégration. Toutefois, le panafricanisme ne doit pas signifier une fermeture au reste monde, il doit être inclusif.


Quels sont les chemins qui t’ont amené à entreprendre et à construire le projet Yeli Dehma ?

En janvier 2019, je suis allée en Mauritanie durant 2 mois afin de rencontrer des entrepreneurs sociaux. Le déclic a eu lieu lors de ma rencontre avec Diarra Sylla, une entrepreneuse mauritanienne qui a fondé le premier fablab du pays à Nouakchott. J'ai eu l'opportunité de visiter ce lieu et de constater l'impact que cette structure génère au niveau local. Lors de notre échange, Diarra m'a confiée une phrase que je n'oublierai sans doute jamais : "tu sais Assetou, ici les idées ne manquent pas, moi même j'ai plein d'idées..., mais le problème c'est que le Gouvernement ne nous aide pas. Je t'assure, Assetou, si je pouvais même avoir un petit financement, je pourrais mettre en place des projets qui changeraient beaucoup de choses ici...". Grâce à cette expérience, au contact des entrepreneurs, je me suis alors rendue compte que l'entrepreneuriat pourrait résoudre beaucoup de problèmes sur le continent, tout en prenant conscience que Diarra, et tant d'autres entrepreneurs en Afrique ne pouvaient pas exploiter pleinement leur potentiel, alors qu'ils ont tout ce qu'il faut pour réussir : les idées, le talent, les compétences… De retour en France, j'ai cherché le meilleur moyen de les aider à distance. Yeli dehma m'est apparue comme une évidence. Alors, il y a trois ans, je n’ai pas hésité à mettre en suspend ma carrière de juriste, afin de pouvoir me consacrer pleinement à l’aboutissement de ce projet.


Quelle est la valeur ajoutée du projet que tu défends par rapport à d’autres ?

J’ai lancé Yeli Dehma, en ayant à cœur de soutenir celles et ceux sur le continent qui entreprennent pour apporter des réponses aux problématiques locales (accès à l'éducation, santé, agriculture, eau, environnement...). C’est pourquoi, nous avons pris le parti de ne sélectionner que des entrepreneurs répondant à l’un des 17 Objectifs de Développement Durable. Toutefois, outre l’impact social et/ou environnemental généré par le projet, nous attachons une grande importance au fait que ce dernier soit économiquement viable.

De plus, nous voulons nous assurer de proposer des projets de qualité. À cet effet, nous travaillons en collaboration avec des incubateurs locaux pré-sélectionnant des projets qui sont soumis à notre comité de sélection. Celui-ci est composé de personnes indépendantes, contrôlant le stade de maturité des projets avant le lancement de la campagne de dons. Enfin, nous avons conscience des doutes et peurs que peuvent avoir certaines personnes lorsqu’il est question de donner de l’argent. Nous avons donc pris soin de mettre en place un processus nous permettant de suivre la gestion des fonds récoltés. En outre, l’entrepreneur bénéficiaire des dons s’engage à nous tenir informés de ses actions sur le moyen/long terme, afin que les donateurs/mécènes puissent suivre l’impact de leurs contributions dans le temps.


"Je perçois l’Afrique comme une terre d’opportunités entrepreneuriales. Les occasions d’entreprendre et les défis à résoudre ne manquent pas"


Entreprendre en Afrique pour une jeune entrepreneure, n’est-ce pas bien périlleux ?

J’ai pris le temps de bien faire les choses, ça fait trois ans que je travaille sur ce projet... Je sais qu’entreprendre en Afrique ou à destination de l’Afrique pour une personne ayant grandi hors du continent demande de la pugnacité, une grande capacité d’adaptation et d’être au clair sur ses objectifs et valeurs. Car il faut tenir compte des réalités locales : les mentalités, les habitudes de vie, et les règles sont différentes et inhérentes à chaque pays. Aussi, on ne peut calquer un modèle stricto sensu sur un autre. Je perçois l’Afrique comme une terre d’opportunités entrepreneuriales. Les occasions d’entreprendre et les défis à résoudre ne manquent pas. J’ai donc saisi ma chance, et j’invite d’autres à en faire autant.


Est-ce plus difficile d’entreprendre pour une femme noire d’origine africaine ?

Entreprendre, de manière générale, c’est dur, mais il vrai que le parcours entrepreneurial d’une jeune femme noire peut être plus compliqué… Pour ma part, j’entreprends dans le domaine de l’économie sociale et solidaire et il est vrai qu’il y a peu de « role-model » (femmes noires) auxquelles je peux m’identifier dans ce secteur en France… mais fort heureusement, j’observe qu’il y a du changement. Je suis une femme noire d’origine africaine et voilée, portant un projet ambitieux. Sur le papier, on pourrait penser que je cumule les handicaps (rires). Néanmoins, si je m'arrêtais à ce constat, il est évident que je ne serais jamais devenue juriste, encore moins entrepreneure. Ce n’est pas parce que les choses sont plus difficiles, qu’elles sont impossibles.


Quelle est la force des porteurs de projets africains ?

Selon moi, tout porteur de projet, peu importe son origine et le pays où il est établi, doit pouvoir faire preuve de résilience et de détermination a minima… Maintenant, il est sûr que les pays émergents, et en particulier les pays africains font face à des défis quotidiens qui complexifient la réussite d’une entreprise (je pense aux lourdeurs administratives, à la nécessité d’avoir des relations, aux coupures de courant intempestives…). De fait, les porteurs de projets en Afrique doivent faire preuve d’encore plus de courage. Ce dernier représente donc à mon sens, leur principale force.


La transition écologique, la responsabilité sociale et environnementale, sont-ils des mots qui font sens pour les porteurs de projets africains ?

Je pense pouvoir dire sans me tromper que les africains ne conceptualisent pas ces notions, ils les vivent au quotidien, car le rapport à la nature est différent sur ce continent. En effet, ils peuvent très rapidement voir l’impact du réchauffement climatique et d’autres transformations : les sécheresses récurrentes, la diminution de la biodiversité, la hausse des températures...


La plateforme de Yeli Dehma se propose de mettre en relation entrepreneurs et donateurs en France : qui sont ces donateurs ? Quel est le public cible ?

Nos donateurs sont issus de différents horizons. En premier lieu, nos donateurs sont des particuliers, issus ou non de la diaspora africaine. Ce sont des personnes qui veulent pouvoir, à distance, s’impliquer dans le développement économique du continent, en soutenant des projets à impact social/environnemental. En second lieu, ce sont des entreprises, fondations d’entreprises et bailleurs de fonds, qui souhaitent également contribuer au développement d’une Afrique plus inclusive et durable au travers de subventions.


Privilégier l’accès au financement des projets ayant un impact social et environnemental positif, n’est-ce pas idéaliste, ou trop restrictif ?

Il est vrai que nous avons pris le parti de ne proposer au financement sur la plateforme Yeli Dehma que des projets ayant un impact social/environnemental en Afrique. Ce choix n’est pas idéaliste. À mon sens, il est motivé par le fait qu’il est inadmissible de concevoir que des personnes ne puissent avoir accès à des soins de première nécessité ou à une éducation de qualité. Il est inacceptable que les pays africains importent autant, alors que ce continent est doté de richesses naturelles et d’un potentiel intellectuel, humain, créatif... inestimable. Nous voulons donc apporter en priorité notre soutien aux entrepreneurs qui s’attaquent à ces problématiques.


Cela demande un vaste réseau d’incubateurs locaux dans les pays cibles, sur le continent africain. Comment construis-tu un pareil réseau ?

Un pas à la fois ! Aujourd’hui, Yeli Dehma est une petite structure, naissante. En tant que tel, nous privilégions le fait d’avoir peu de partenaires pour le moment, mais de qualité. Les projets ne manquent pas. Nous avons commencé principalement avec le Sénégal, et la Mauritanie. La transparence étant une de nos priorités, il ne serait pas sage de trop se diversifier pour le moment.


De quelle façon Yeli Dehma pourrait s’inscrire dans la dynamique de transformation du regard que l’on porte actuellement sur l’Afrique ?

Yeli Dehma est un projet inclusif : notre communauté n’est pas composée que de personnes issues de la diaspora. Par ailleurs, des personnes lambda, des étudiants, des mentors… de toutes origines ont participé à l’élaboration de ce projet, et j’en suis très fière ! Cela a permis à certains d’entre eux d’apprendre des choses sur l’Afrique. A travers notre blog, nous voulons faire découvrir l’Afrique telle qu’elle est, loin des clichés. Nous proposerons donc des focus sur des initiatives, des portraits, et des articles sur la culture africaine (n’oublions pas que nous parlons de 54 pays), mais aussi des conseils pour mieux entreprendre en Afrique. L’idée du blog nous a paru évidente, car c’est notamment par la sensibilisation et la découverte que nous pourrons faire évoluer positivement les mentalités. Enfin, la mise en lumière des entrepreneurs que nous accompagnons est un excellent moyen de découvrir certaines réalités locales. Par leur engagement, ils contribuent à déconstruire des préjugés.


Comment envisages-tu le développement de Yeli Dehma dans quelques années ?

D’ici quelques années, Yeli Dehma sera forte d’une équipe élargie, aura agrandi son cercle d’influence au travers du nombre de pays couverts au niveau mondial et du réseau de partenaires (incubateurs locaux, institutions privées et publics), au bénéfice du plus grand nombre. En outre, la communauté des Yeliz (donateurs) sera très active et avec elle, nous mettrons en place de nouveaux projets, co-construits, dont nous n’avons pas encore idée (rires).


Un mot conclusif sur toi et sur ce beau projet pour fermer notre entretien ?

Je vous invite tous à contribuer par vos dons au développement d’entreprises à impact social et environnemental en Afrique : devenez "don'acteur(trice)", et intégrez la communauté des Yeliz !

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