Entretien avec David Vaillant sur la biodiversité à l'occasion de la COP 27
Qui est David Vaillant?
David Vaillant a débuté son parcours professionnel dans l’entreprenariat, avant de devenir avocat, puis de mettre ses compétences au service du secteur public. Il a ensuite rejoint la banque de l’entreprise et de l’investissement, où il a notamment développé les activités sur la zone Europe Moyen-Orient et Afrique, d’une part, et l’activité de conseil aux gouvernements. Aujourd’hui, il est Global Head of Finance, Strategy & Participations et Directeur général délégué de BNP Paribas Asset Management France. Il est particulièrement sensible au développement de la finance et de l’investissement durables.
Il s'est beaucoup investi depuis le début de son parcours dans l’enseignement, notamment à HEC et Sciences Po ; aujourd’hui, il se concentre sur la finance durable et la biodiversité, où le besoin de formation est majeur. Enfin, l’égalité des chances, notamment à l’école, lui tient profondément à cœur, et il s’y est investi depuis ses études.
Comment est née l'idée d'un livre blanc sur la biodiversité ?
Le livre blanc est une aventure collective. Il nous est apparu que la biodiversité était un sujet majeur pour notre planète, chacun d’entre nous, mais aussi pour l’économie et les entreprises. Il est aujourd’hui insuffisamment connu ; notre objectif est d’en montrer l’importance, et comment l’aborder de manière pragmatique.
Ainsi, grâce au soutien du Président d’HEC Alumni, Adrien Couret, et de l’Ambassadrice pour l’Environnement, Sylvie Lemmet, nous avons pu lancer ce premier livre blanc publié sous l’égide de l’Association. Avec une équipe de 7 alumni de toutes générations, nous avons travaillé à titre personnel et bénévole pendant 9 mois et interviewé une cinquantaine de scientifiques, responsables d’ONG, d’entreprises et de la finance. Je veux vraiment saluer ce travail collectif, les 7 contributeurs, et le soutien de Sylvie et d’HEC Alumni.
Le livre blanc est disponible à : https://livreblanc.hecalumni.fr/
Qu'est ce que la biodiversité, pourquoi est elle importante et en quoi est elle menacée ?
Derrière ce mot se cache une réalité à la fois intuitive et complexe : la richesse et la diversité de la vie sur Terre. Elle comprend : la diversité des espèces, la diversité génétique (et donc le nombre d’individus) au sein de chacune des espèces, mais aussi la diversité et la richesse des écosystèmes. L’ensemble de ces dimensions sont menacées, au point où de nombreux acteurs parlent d’une « 6ème extinction de masse » : 1 million d’espèces seraient ainsi menacées; au-delà, le nombre d’individus au sein des espèces reculent de manière inquiétante. Enfin, les écosystèmes les plus fragiles sont aussi les plus riches en biodiversité : forêts, récifs coralliens, mangroves, etc.
Les activités humaines ont un impact clair sur la biodiversité : par prélèvement direct de ressources naturelles (eg, pêche) ; l’utilisation et la conversion des sols et des espaces marins (eg, habitat, agriculture, industrialisation, etc.); au travers du changement climatique, qui accélère la perte de biodiversité; le rejet de substances polluantes ; enfin, par le développement d’espèces envahissantes.
Le recul de la biodiversité doit être vu comme un risque jumeau du risque climatique : le réchauffement climatique aggrave la destruction de la biodiversité. En retour, la biodiversité est indispensable pour gagner la bataille du climat : la nature absorbe et stocke le carbone (dans les forêts, les zones humides, le sol) ; elle permet également de réguler la température. La préservation de la biodiversité est donc un enjeu central pour l’humanité. Or, sa dégradation est très avancée – probablement plus encore que le climat – comme l’a souligné le Stockholm Resilience Institute.
Pourquoi les entreprises doivent elles se saisir de ce sujet et quel est leur rôle ?
La biodiversité rend à l’humanité des services dits écosystémiques : ressources (eau, nourriture, etc.), régulation (chaleur, climat), et agrément (forêts, paysages, mers, tourisme).
Des pans entiers de l’économie en dépendent directement : agro-alimentaire, tourisme, textile, pharmaceutique, etc. En retour, les activités économiques ont un impact significatif sur la biodiversité, certains secteurs étant particulièrement concernés.
La destruction de la biodiversité crée de ce fait des risques multiples pour les entreprises : approvisionnement, réputation, pression des consommateurs et investisseurs, etc.
Au-delà, la biodiversité est un enjeu majeur pour la santé humaine : les grandes pandémies sont largement des zoonoses ; par ailleurs, la médecine tire de la nature une part importante des traitements. Enfin, les entreprises ont les moyens de se saisir de ce sujet. Nous proposons une approche très simple, en 10 principes, pour qu’une entreprise commence à s’engager dans cette voie. Les filières peuvent également développer des coopérations afin de mieux intégrer la biodiversité dans l’ensemble de la chaine de production et de valeur.
Comment mesure-t-on l’impact d’une entreprise sur la biodiversité ? Comment surmontez-vous l’obstacle de l’accès aux données « ESG » dans les pays développés d’une part, et dans les pays émergents d’autre part ?
C’est un point clé. La biodiversité est à la fois plus multi dimensionnelle et assez locale dans ses effets ; cela la rend plus complexe à appréhender que les émissions de gaz à effet de serre. Les données sont aujourd’hui à la fois insuffisantes et peu harmonisées. A ce stade, c’est logique : pouvoirs publics et acteurs économiques sont en train de se saisir du sujet.
Différentes initiatives sont en cours pour à la fois mieux définir les données, les collecter et définir des indicateurs agrégés ; des entreprises et acteurs de la finance se mobilisent activement. En matière de biodiversité, la coopération entre pays développés et pays émergents est encore plus nécessaire : notamment car les chaines de valeurs et de production sont globales, mais les réserves de biodiversité localisées, en particulier dans les pays émergents (forêts tropicales, mangroves, savanes, etc.).
Nous voulons passer un message important : les entreprises peuvent apprendre en marchant. Dans de nombreux cas, des indicateurs simples captureront une grande partie de l’impact biodiversité d’une entreprise : utilisation des sols, polluants, utilisation de l’eau, etc. Il vaut mieux commencer, puis affiner les indicateurs et les mesures ; cela permet de mobiliser l’organisation vers l’action.
"Nous voulons passer un message important : les entreprises peuvent apprendre en marchant."
Quel est le rôle de la finance dans cette transition ?
Le monde de la finance est un reflet, indirect, de l’économie dans son ensemble. Habitué à prendre en compte des risques de long terme, il commence à se saisir du sujet, notamment en Europe. La question des données est centrale pour le secteur, et les partenariats avec le monde de la recherche se développent.
Concrètement, les banques sont bien placées pour accompagner leurs clients dans l’évaluation de l’impact de projets spécifiques. Les investisseurs peuvent intégrer la biodiversité à leur analyse ESG. Les assureurs ont également un rôle déterminant à jouer, car la possibilité d’assurer les projets et le coût de cette assurance sont clés pour leur réalisation. Nous sommes aussi convaincus de l’intérêt de partenariats entre les financeurs et les acteurs des filières, pour développer de nouveaux outils de financement permettant la transition, par exemple la transition du secteur agro-alimentaire.
Le Forum économique mondial a désigné la période 2021-2030 comme la Décennie pour la restauration des écosystèmes. Il prévoit que la volonté d’inverser les dommages causés aux écosystèmes générera 60 000 milliards de dollars US d’activités économiques au cours de cette période. Comment atteindre cet objectif ?
Au regard des enjeux et de l’urgence, nous proposons d’avancer simultanément dans plusieurs dimensions. Tout d’abord, la sensibilisation et la formation : dans les cursus scolaires et universitaires, mais aussi la formation des cadres dirigeants et de la fonction publique.
Puis le développement des données, au travers de partenariats entre entreprises, chercheurs, pouvoirs publics, et définition de standards.
Nous proposons une approche sectorielle, qui permet de mettre en dialogue les différents acteurs d’une chaine de valeur. Par exemple, nous étudions plus en détail la filière agro-alimentaire, qui est à la fois fortement dépendante et déterminante pour la biodiversité.
Au sein de chacune de ses filières, les entreprises peuvent à nouveau, de manière très concrète, lancer des actions d’évaluation et de réduction de leurs impacts.
Les consommateurs ont également un rôle à jouer, par leur attention envers les produits et services qu’ils achètent. C’est notamment le cas de l’évolution des régimes alimentaires, qui peut significativement contribuer à la préservation de la biodiversité.
Bien entendu, les pouvoirs publics ont une responsabilité de fixation de normes et de coordination. Ils peuvent agir au niveau national ; le rôle des collectivités locales est lui aussi critique, les écosystèmes étant souvent locaux. Enfin, la coordination internationale est nécessaire : la COP 15 qui aura lieu en décembre en est l’exemple.
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